Aéronautique & Défense : quatre signaux stratégiques qui redéfinissent le secteur au premier semestre 2025

La guerre en Ukraine, déflagration budgétaire chez les États majeurs, montée en puissance des tensions indo-pacifiques, le trafic aérien en hausse (5 milliards de passagers en 2025 d’après l’IATA), accélération des programmes de souveraineté technologique et guerre des talents : depuis janvier 2025, l’écosystème aéronautique et défense se transforme à vive allure. Ces dynamiques, croisées à l’exigence de décarbonation, composent un nouveau terrain de jeu pour les décideurs industriels et institutionnels.

Maximilien de Boyer, Practice Director Aéronautique, Défense & Sécurité chez NAOS International, identifie quatre tendances structurantes susceptibles d’influer durablement sur la chaîne de valeur et sur les stratégies RH des acteurs.


1. Réarmement budgétaire : une bascule historique

La décision des Alliés de l’OTAN d’entériner un objectif de dépense de 5% du PIB dont 3,5% pour les capacités militaires « dures » constitue la rupture la plus marquant depuis la fin de la guerre froide. Elle s’ajoute à la généralisation du seuil des 2% désormais atteinte ou dépassée par l’ensemble des membres.

Outre-Atlantique, le National Defense Authorization Act 2025 consacre 9,9 milliards $ au Pacific Deterrence Initiative (PDI), témoignant de la priorité accordée à la dissuasion face à la Chine.

« Le message est clair : la compétition de puissance se joue autant dans les bilans financiers que sur les théâtres d’opérations », souligne Maximilien de Boyer.

Dans cette logique de « rééquilibrage indo-pacifique », le pacte AUKUS reste un levier stratégique majeur. Toutefois, son avenir immédiat suscite des interrogations : Washington a annoncé une révision de 30 jours du programme, notamment autour de la composante sous-marine – pilier du partenariat trilatéral – ce qui alimente les inquiétudes des législateurs américains et australiens quant à sa viabilité opérationnelle et politique.

Notons d’ailleurs que l’ambassadeur de France en Australie a annoncé le 13 juillet dernier que la coopération franco-australienne en matière de défense « a repris » depuis le camouflet de l’énorme contrat avorté pour des sous-marins français en 2021. On parlait d’ailleurs de « contrat du siècle ».

Les marchés export d’équipements navals et sous-marins se préparent à une vague d’appels d’offres accélérés pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement en propulsion nucléaire.


2. Rebond du transport aérien : entre renaissance et goulots d’étranglement

Airbus a validé la certification européenne de l’A321XLR, ouvrant un segment « single aisle long range » très convoité.

Le constructeur vise toujours 820 livraisons en 2025, mais avertit les compagnies que certains retards pourraient se prolonger jusqu’en 2028, en raison des pénuries persistantes de moteurs et de pièces. Airbus pointe notamment du doigt Safran Aircraft Engines, qu’il accuse de ne pas livrer les moteurs dans les délais, une tension déjà évoquée dans plusieurs prises de parole publiques du groupe.

Chez Boeing, le top management vient de confirmer un calendrier de certification « avant fin 2025 » pour les 737 MAX‑7et 737 MAX‑10. Cependant, le groupe subit une « fuite des cerveaux » historique, la durée moyenne de carrière d’un ingénieur étant passée de 16,4 à 12,6 ans en dix ans. Le constructeur se retrouve également dans une crise profonde à la suite du crash en Inde d’un Boeing 787 d’Air India le 12 juin 2025, un accident qui a relancé les critiques sur sa sécurité et pesé sur sa réputation.

Sur la filière carburant, l’introduction simultanée des mandats européens et britanniques SAF 2025 fait flamber la facture : +100 % de surcoûts, soit 1,2 milliard $ pour un volume d’un million de tonnes, déplore l’IATA.

« Les transporteurs se retrouvent coincés entre impératif climatique et impacts P&L ; l’équation sera intenable sans mécanisme de compensation », avertit Maximilien de Boyer.

En attendant les biocarburants, Expliseat, entreprise française basée à Paris, conçoit des sièges d’avion ultra‑légers en titane et composites, permettant une réduction de 30 % du poids des sièges et une baisse des émissions de CO₂ de 3 à 6 % par passager

Côté chaîne d’approvisionnement, Constellium observe une visibilité qui « s’éclaircit » sur l’aluminium aéronautique grâce aux plans de rattrapage d’Airbus mais Airbus rappelle que des goulots d’étranglement persisteront trois ans.


3. Souveraineté technologique : programmes de nouvelle génération et espace-défense

Le programme franco-germano-espagnol FCAS traverse une nouvelle zone de turbulence : Airbus et Dassault peinent à s’accorder sur la phase 1B du chasseur de 6ᵉ génération, retardant un jalon critique prévu pour 2026.

Cela s’est illustré au Salon du Bourget : la maquette du FCAS était nettement moins mise en avant que le Rafale F5, largement exposé sur le stand extérieur de Dassault Aviation.

Parallèlement, le marché des drones militaires vaut déjà 11,2 milliards $ et devrait doubler d’ici 2034 sous l’effet des capacités de swarm et de l’autonomie IA.
Les stratégies d’acquisition intégrant « drones + systèmes anti-drones » deviennent la nouvelle norme dans les plans d’armement quinquennaux. Notons le partenariat Thales KNDS France.

Au Salon, la présence de Parrot fabricant français, a été marquante avec le lancement de ses micro-UAV souverains ANAFI UKR et de l’autopilote IA CHUCK 3.0.

On y a également remarqué l’émergence de belles start-up, comme Alta Ares, qui développe sur ses drones une IA embarquée de reconnaissance visuelle en temps réel, capable de détecter véhicules et infrastructures sans connexion cloud.

Dans le spatial, Ariane 6 a effectué son deuxième vol le 6 mars 2025 et prépare sa mise en service commerciale en août, positionnant l’Europe sur un créneau de lancement moyen capacité à coûts rationalisés.

Ce succès, couplé aux constellations de surveillance hypersonique testées par la MDA américaine, accroît la valeur stratégique de l’orbite basse.

En parallèle, Latitude, startup française basée à Reims, se démarque avec son lanceur Zephyr dédié aux SmallSats : soutenue par un plan France 2030 et une levée de fonds de 30 M $ (Série B), elle construit une usine de 25 000 m² sur l’ancien site d’AstraZeneca pour assurer la production in‑house de turbopompes, d’avioniques et préparer ses lancements dès 2026, faisant d’elle un acteur agile et souverain de l’accès à l’orbite basse.


4. Capital humain : la clé de voûte des ambitions industrielles et climatiques

Afin de développer le pont entre universitaires et acteurs industriels, la Chaire Pégase, la première chaire française dédiée à l’économie et au management du transport aérien et de l’aérospatial, est rattachée à Montpellier Business School et agit comme une interface de contact privilégiée vers le secteur.

Les enquêtes Deloitte confirment que la pénurie d’ingénieurs et de profils cyber reste le premier frein cité par 72 % des dirigeants A&D. Sur les salons, Farnborough 2024 a déjà mis en lumière la chasse aux talents entre avionneurs traditionnels et start-ups à propulsion électrique.

La question RH se double d’un impératif ESG (environnement, social, gouvernance) : sans expertise dédiée au Sustainable Aviation Fuel, aux batteries solides ou à l’hydrogène, l’industrie risque de manquer ses jalons de décarbonation et de se voir pénalisée par les nouvelles taxonomies européennes.

Les tensions sociales, amplifiées par la transformation numérique et les inquiétudes sur l’IA générative, invitent les directions à adopter des politiques de rétention combinant upskilling, équité salariale et mobilité internationale — des volets où l’approche directe et la cartographie de talents peuvent se révéler déterminantes.


Conclusion : entre accélération et volatilité

Le premier semestre 2025 confirme l’entrée de l’aéronautique et de la défense dans une phase de super-cycle concurrentiel. Budgets record, pressions géopolitiques intenses, transition environnementale coûteuse et pénurie de talents transforment simultanément les règles du jeu. Les directions générales n’ont plus le loisir de séquencer leurs priorités : maîtrise des chaînes d’approvisionnement, sécurisation des compétences clés, anticipation réglementaire et innovation produits doivent désormais avancer de concert.

Pour les acteurs capables de lire ces signaux faibles, l’année 2025 offre une fenêtre stratégique unique.

Comme le conclut Maximilien de Boyer : « Dans un environnement où chaque délai se paye cash, l’avantage compétitif appartient aux organisations qui sauront aligner capital humain, capital industriel et capital carbone »